Los boys

"Ces nouvelles n'ont pas de lien voulu ou évident entre elles, mais dans leur juxtaposition inévitable et hasardeuse, elles trouvent une cohérence et, petit à petit, se dessinent des images, des paysages, des personnages. Une famille déboussolée et réinstaurée prend corps dans sa réalité bringuebalante, c'est le ciment qui tient le livre. Sous le regard du petit garçon ou de l'adolescent qui raconte un père absent d'abord, parti en Amérique et pratiquement disparu et qui doit envoyer de l'argent, un jour, pour faire venir femme et enfants, et qui le fera quand plus personne n'y croira vraiment, on ne sait pas trop pourquoi, pour être en règle avec lui-même, peut-être. Parti à cause d'une femme, il en trouvera encore une autre, au moins, dans le Nouveau Monde, et les enfants assisteront à cela comme au reste, dans leur impuissance silencieuse et coupable. La mère, d'abord restée sur l'île, s'use dans une fabrique de chocolat, elle crie, elle cogne, parce qu'elle ne peut pas faire autrement, quitte à s'abstraire, craquer et repartir. Et elle s'adaptera encore et toujours. Un frère aîné, une sœur aussi, peut-être, cela varie d'un texte à l'autre, mais ce qui compte, c'est cette résistance, cette tolérance, cette complicité de la fratrie, même dans la jalousie ou les bagarres, et la tendresse sous-jacente mais rarement exprimée.

Et tous les autres, grand-père, oncles, tantes, voisins, et puis les copains et surtout les filles qui se laissent draguer sur fond de drogue, de sida, de manque d'argent, de petits boulots, de petits vols, et l'attirance pour les mieux intégrés, qu'elles soient noires, métisses ou blanches. De l'enfance à l'adolescence, de Saint-Domingue à une banlieue triste, un gamin grandit, le cœur tanné comme du cuir, souffrant quand même parfois, mais plein d'espoir et de sourires rentrés."

Martine Silber, Le Monde

Source : 10-18