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Ce que je crois

Ce que je crois

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    ?>Des projets, des projets...Des joies, des réussites ? et pourquoi ne pas croire, naïf, des signes, ou des récompenses ?...Après cinq ans je revivais, je refleurissais. J'étais presque converti ? on ne l'est jamais... Image de bonheur, presque conventionnelle... Un grand soleil entrait à plein par la fenêtre, battants ouverts, frangeant d'or les rideaux bleus, et traversait la pièce jusqu'au pied du divan, bleu et doré à l'envi, parmi des souffles d'air. Je prenais un café, sans crainte qu'il m'hallucine. C'était au mois de mai 1965. Il devait être une heure et demie de l'après-midi. Je crois me souvenir que j'entendais des enfants se dirigeant vers l'école...Ma femme allait sortir. Elle se rendait à la répétition d'une pièce ? une adaptation du Don Juan de Tirso de Molina, que j'avais écrite et que nous allions donner au Festival du Marais. Elle jouait Isabelle. Un de nos enfants était né.Elle me dit au revoir avec beaucoup d'entrain, sans venir me trouver, car elle était en retard. Je l'entends encore, dans le couloir. Elle était émue de cette entreprise commune et de ses promesses. Elle aussi revivait, sortant de deux enfers : le mien, qu'elle avait partagé ; et celui-là surtout que je lui avais infligé, exprès, à coups de rebuffades et d'insultes, n'ayant voulu pour rien au monde être sauvé, du moins pendant très longtemps. Je ne comprenais pas ce qui l'avait retenue auprès de cette vieille loque méchante.Je vis sa silhouette s'éloigner vers la porte, dans la pénombre... Alors je lui lançai à voix haute, de loin, la nouvelle de toute une série de projets ou plutôt d'offres qu'on m'avait faites, au cinéma, au théâtre, après plus de cinq ans de maladie mortelle et d'oubli, et elle y était jointe. Cela finit par une sorte de ch?ur à deux voix, une clameur de joie et d'exaltation communes, rugissements et rires mêlés. La porte claqua, sans interrompre son rire, que j'entendis décroître au long de l'escalier pendant deux ou trois secondes, peut-être quatre... Et moi aussi je riais encore, en échos attardés, faiblissant, renaissant...Alors ce fut la foudre... Dois-je dire la foudre, si je n'entendis rien ? Mais ceux qui sont pris en elle entendent-ils son fracas ?... Je ne suis même pas sûr que j'aie vu l'éclair. J'étais sur le divan. Je fus soulevé, lancé au loin, écrasé. J'en eus du moins le sentiment, mais sans représentation aucune, comme si tout se passait dans un temps et dans un espace indivisibles. Je mentirais si je parlais d'un transport et d'une distance...Je m'aperçus plus tard que j'avais été projeté au pied du divan, à terre, ou plutôt dans une sorte d'agenouillement ou de prosternation affalée, le front contre le rebord, semble-t-il, regardant ? si j'avais regardé ? mon ancienne place. Mais encore une fois, tout cela, je l'ai su après. Pendant ? faut-il dire : pendant ? ? il n'y eut rien. J'ignorais tout de mon corps. Je n'ai rien vu que la nuit et rien entendu que le silence : une nuit, un silence distincts de tous les autres par le rapport de l'infini au fini. Deux états se mêlaient, sans se détruire, sans même se nuire, que je reconnus être la béatitude et l'épouvante. Je sus même que c'était un coup frappé par le Père. De quel savoir, je l'ignore. Mais je n'ai pas tout à fait perdu conscience, ce souvenir détaillé l'atteste. Et je me sentais même, comme s'il y avait aussi une durée, enfoncer indéfiniment dans cette nuit et dans ce silence...En revenant à moi ? mais quand étais-je à moi ? car une de mes impressions les plus vives en cet état, une sensation inouïe, fut d'être enfin libre ? je vis que le soleil avait depuis longtemps disparu de la fenêtre. Il s'était passé des heures. Je pouvais m'abîmer encore dans cette nuit qui était là, avec quelques lueurs au ras de son horizon, mais à peine, et continuer sans fin d'adorer : car c'était cela. Je le fis, je crois. Tout disparut plusieurs fois. Mais bientôt j'entrevis mon appareil téléphonique, non loin, sur un tapis, et, la terreur aidant, je me traînai jusqu'à lui.J'appelai un prêtre, un grand spirituel qui avait bien voulu me guider, ou plutôt me secourir, depuis quelques mois. Je l'instruisis à mots voilés, presque sans voix. Il en était à peine besoin : le ton suffisait.Mais quand je lui demandai ce qu'il fallait que je fasse, il me répondit avec force :? Ce que vous avez à faire... Toutes vos occupations... Comme si de rien n'était...Eut-il raison ?... Sans doute redoutait-il en moi quelque complaisance, ou gloire... J'obéis... Alors que j'aurais aimé m'enfouir, je m'arrachai, je sortis, je me rendis où je devais... La place des États-Unis tout infusée d'au-delà me fit un étrange effet... L'état mit environ vingt heures à disparaître. Une distance, un écran, une cassure invisible d'avec le monde lui succéda, qui ne gênait en rien ma vie, et même la libérait...C'est depuis ce jour-là que je n'ai plus de projets... Que je vois çà et là des objets de souci, mais sans me soucier... Et que j'ai renoncé à faire de mon plein gré le moindre bruit sur la terre... Tout va de soi... Mon temps se passe entre ce qui me vient et ce qui m'arrive.***Il m'est venu d'écrire les lignes qui précèdent, où je dis tout à coup ce que je n'ai jamais dit. Je continue et ne m'en excuse pas. Je voudrais seulement être encore plus précis, plus froid : ne pas quitter les symptômes...Au reste, je me relis et je trouve le tout assez peu lyrique, hors un seul mot : la foudre, qu'il vaut mieux retirer. Mais enfin ce fut quelque chose comme cela, dans le nu, l'immédiat. Ni ce jour-là ni jamais je n'ai rien vu de flamboyant. Et je ne crois pas être en train de me glorifier d'une grâce. Car c'en est une, certes, mais modeste et courante... Rare, au plus, chez les agrégés de philosophie...Et ce n'est pas à ce titre que je parle...Toutefois il me semble honnête de signaler que si ma foi est celle d'un imbécile ? aux meilleurs moments, d'un enfant ? il ne fut pas toujours indifférent à sa venue que j'aie eu, et même exercé, la faculté de penser. J'en donne ici un exemple :Peut-être raconterai-je au long de ce livre ? s'il vient ? cette longue agonie qui m'a conduit à croire ; comment pendant cinq ans je fus fou, idiot, suicidant, suicidaire, gibier d'hôpitaux ou d'asiles ; comment mon être, ou ce que je croyais mon être, craqua et fut recréé. J'en ai parfois confié des bribes à des amis. Or il n'en est guère qui, dès avant la fin du récit, craignant qu'il ne tourne à quelque prosélytisme, n'aient brandi sur mon cas l'illustre théorie du phantasme compensateur et de l'opium du peuple, murmurant avec tendre et délicate pitié : « En somme, Dieu t'a tiré d'une dépression gigantesque. » Et moi je répondais que c'était la moindre des choses que Dieu m'extraie du gouffre où d'abord Il m'avait jeté ! Propos suffisant pour semer à mon tour le doute et l'antinomie, pour résister aux terreurs intellectuelles de pacotille, déjà académiques, qui sévissent encore. J'ai perdu quelques jeunes frères dans le Christ par ces âneries. Ils croyaient et n'ont pas osé y croire... Je ne saurais l'oublier...***Mais voici plus précis et en quelque sorte amusant. Vers la fin des cinq ans, je ressentais, entre autres douleurs corporelles, mon c?ur comme un papier que froisserait une main, et mes vertèbres lombaires apparemment déboîtées, ou sciées. C'était dur. Et comme ces deux organes n'ont aucun rapport médical entre eux et que les miens s'avéraient excellents aux examens, mon mal se redoublait du mystère, lorsqu'un jour me revint par le plus grand des hasards, sans doute par jeu de mots, une formule biblique : « Dieu fouille les c?urs et les reins. »Bien sûr, je n'y crus pas. D'autant moins que je consultai alors l'ouvrage d'un théologien vénérable et que j'y lus, au sujet de cette maxime : « Cette expression métaphorique signifie que Dieu pénètre nos pensées les plus intimes. » Aucun rapport, donc, avec mon cas. Je n'y pensai plus. Mais bientôt, mes maux empirant, j'en vins à douter que la formule fût tellement métaphorique ! Il y avait peut-être une « clinique » de Dieu, avant que l'Occident ne L'affectât à nos « âmes » et à nos « pensées intimes », ne pouvant plus concevoir qu'Il daignât travailler à même les corps...Ou...

    Source : Grasset
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