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Oufkir, un destin marocain
Oufkir, un destin marocain
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Français
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Description
I?>DANS LE JARDIN SECRET DU ROI?>?>LA TRAVERSÉE DU MIROIR?>Un rodéo dans le désert : étiré sur plusieurs kilomètres, le convoi de voitures, Jeeps et fourgonnettes de police se rassemble soudain, les véhicules virevoltent dans le sable, hors piste, puis s'immobilisent en formant un demi-cercle illuminé par leurs phares. Les moteurs coupés, c'est le silence absolu, celui du désert, la nuit. On n'entend que le sifflement du vent. « Descendez ! » L'ordre s'adresse aux Oufkir, à Fatima et à ses six enfants, qui s'extraient péniblement de deux véhicules. Cela fait près de dix heures qu'ils roulent. Le convoi a quitté Tiznit à midi environ, avant de dépasser Goulimine, la « porte du désert ». Après Goulimine, le goudron s'arrête. « Mettez-vous au milieu, là, tous ensemble ! » Aveuglés par les phares, les Oufkir trébuchent. Leurs pas se font lourds, d'autant plus lourds qu'ils croient leur dernière heure arrivée. On les a donc amenés ici, au milieu du désert, pour les fusiller. Le « bref séjour pour raison de sécurité », le déménagement de leurs affaires, les valises qu'ils ont été autorisés à emporter de leur villa à Rabat, tout cela n'était qu'une mise en scène. Derrière les phares, le bruit sec des culasses indique que les chargeurs des fusils sont engagés. « S'ils ont décidé de nous tuer, murmure Fatima aux enfants, il ne sert à rien de pleurer. Tâchez d'être dignes. » La veuve du général Oufkir porte dans ses bras Abdellatif, le « petit », qui aura quatre ans dans deux mois. Ses autres enfants, qui ont entre neuf et dix-neuf ans, sont regroupés autour d'elle : Malika, l'aînée, Myriam, Raouf, le premier fils, Maria et Soukaïna. Personne ne dit mot. « Nous nous sommes ramassés les uns sur les autres, et ils nous ont braqués avec leurs fusils-mitrailleurs », se souvient Fatima. Combien de temps ce face-à-face a-t-il duré ? « Une éternité pour nous qui avions peur et froid aussi, à l'intérieur. » Leurs vêtements faseyent dans le vent. « Remontez dans les voitures ! On s'en va. » Fin du simulacre d'exécution.Nous sommes à la veille de Noël, le 24 décembre 1972, quatre mois et huit jours après le coup d'État manqué et le « suicide de trahison » du général Oufkir. Sa veuve et ses enfants sont en route pour leur premier lieu de bannissement, la palmeraie d'Assa. Peu avant l'arrivée, il faut les mettre en condition, bien marquer la rupture entre leur vie antérieure et celle qui va suivre. Les anciens dignitaires du régime, les habitués du palais sont symboliquement mis à mort. Dorénavant, les Oufkir seront des « disparus », de célèbres oubliés, des prisonniers dans le jardin secret du roi. Ils ne sont pas seuls. Deux « malheureuses », comme les appelle Fatima, les accompagnent. L'une, Achoura Chenna, est une cousine de Fatima. L'autre, Halima Aboud, dix-neuf ans comme Malika, est la « nounou » d'Abdellatif. La nouvelle vie des Oufkir et de ces « malheureuses » commence dans l'ancienne maison d'un officier français aux Affaires indigènes. Abandonnée depuis la fin de l'époque coloniale, il y a près de vingt ans, la bâtisse aux murs épais est en mauvais état. Les volets sont démantibulés, les vitres cassées, les dalles du sol disjointes. « Il n'y a pas de moquette ici », s'étonne Abdellatif à son arrivée. Il est presque minuit. Sur la table, de petits tas les attendent : leur ration, celle de chacun, autour d'une boîte de sardines. Dans l'autre pièce, puisqu'il n'en existe que deux, Fatima et sa fille aînée poussent côte à côte des grabats, recouvrent vite les matelas de mousse avec les draps qu'elles ont apportés de Rabat. Malika - « Kika » pour ses frères et s?urs - étend aussi « le vison de maman » sur les lits rapprochés pour que, tous blottis en boule, ils soient protégés du froid. Les Oufkir s'endorment après une crise de fou rire, décharge de leur nervosité, exutoire de leur soulagement. Le lendemain matin, Fatima et Malika se lancent dans le nettoyage à fond de la maison. Elles vident une bombe d'insecticide dans la petite cave creusée sous une trappe, le seul endroit où la fraîcheur toute relative qui règne dans la journée permet de stocker eau et nourriture. «Des dizaines de scorpions sont alors remontés de la cave. Il y en avait partout, sur tous les murs, de toutes les tailles et de toutes les couleurs. » Ainsi débute une cohabitation insolite. Tous leurs gardes se feront piquer, jusqu'à la femme du commandant Bouazza, une nuit, au sein, mais aucun des Oufkir ne sera jamais touché. « On ne bougeait pas, même quand on voyait, le soir en lisant au lit, cinq ou six scorpions juste à côté de nos têtes. » En revanche, la vue d'immenses araignées à qui leur rapidité vaut le surnom local de hab erreh,« plus rapide que le vent », les affole. Leur piqûre est réputée mortelle. « Comme, en plus, un mur s'est écroulé quelques jours après notre arrivée, tuant sur le coup deux gardes, ils nous ont livré une maison préfabriquée d'origine américaine. » Achevée fin février 1973, elle permettra aux Oufkir de passer l'hiver dans un plus grand confort. Mais dès que les grandes chaleurs reprennent, la famille et les deux « malheureuses » réintègrent l'ancienne demeure de l'officier aux Affaires indigènes. Faute d'électricité, la « cabane américaine » ne peut être climatisée et « cuit » au soleil. Même à l'intérieur de la vieille bâtisse coloniale, Fatima et ses aînés doivent se relayer pour asperger d'eau les draps des « petits » et éventer les plus jeunes pendant leurs quelques heures de sommeil.La maison des Oufkir est située à l'intérieur d'une caserne. La surveillance est sans faille mais, pendant les quatre premiers mois, ils ont le droit de se « promener » dans la palmeraie. Simple hameau établi autour d'un puits, au sud-est de Goulimine, elle compte quelques centaines d'habitants auxquels s'ajoute un nombre variable de nomades. Fatima Oufkir et ses filles aînées refusent de « marcher sous le regard des Mokhaznis », le nom que portaient les forces de l'ordre du roi quand celui-ci était encore appelé sultan. Rebaptisés «membres des forces auxiliaires de police », ils sont désormais la piétaille du ministère marocain de l'Intérieur. Mal payés, souvent des Berbères descendus de leur montagne qui ne parlent pas français et, parfois, guère un mot d'arabe, ils répriment sans états d'âme. Les grèves scolaires et estudiantines matées à coups de manche à balai, ce sont eux. Les aînés restent donc enfermés, à l'exception de Raouf, qui accompagne les « petits » pour explorer la bourgade. Vite au courant de leur identité, les villageois les invitent à boire le thé, leur offrent des ?ufs, des dattes, du henné pour les filles. Jusqu'au jour où tombe de Rabat un message radio mettant fin au droit de sortie sous surveillance que leur avait accordé le commandant Bouazza. Ce septuagénaire a été régisseur de la prison militaire de Kénitra « pendant quarante ans, depuis le temps des Français », comme il le leur répète souvent, ajoutant : « Jamais, pendant toutes ces années, on ne m'avait demandé d'enfermer des enfants. » De sa nouvelle mission, le commandant, pourtant un homme dur, n'est pas fier. Cependant, il n'a pas le choix. C'est le roi en personne qui l'a convoqué. « Il faut casser les Oufkir », lui aurait intimé Hassan II. Alors, le commandant Bouazza, à la tête de plus de deux cents agents de sécurité, s'exécute. Tous les corps d'armes sont impliqués. Trois équipes composées d'une trentaine de policiers, d'un nombre équivalent de Mokhaznis et d'une dizaine de militaires se succèdent par roulements d'un mois. Son tour de garde accompli, chacun repart dans son village, sa ville, son unité. Au fil des ans et au gré des changements d'équipes, le Maroc tout entier apprendra donc où se trouvent les Oufkir et ce qui leur est arrivé. Ce n'est pas le moindre intérêt de cette punition sans fin. En engloutissant dans ses ténèbres bétonnées cinquante-huit conjurés des putschs de 1971 et de 1972, le bagne tout aussi peu « secret » de la caserne de Tazmamart, dans le moyen Atlas, fait comprendre aux militaires ce qu'ils risquent en cas de révolte. De même, le sort des Oufkir est pour les membres les plus en vue de la cour la preuve par l'exemple d'une déchéance. Tant qu'ils ch...
Source : Calmann-Lévy-
Caractéristiques
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Auteur
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Edité par
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Date de sortie1999
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EAN9782702129388
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