Sauvage est la nuit

Je m'appelle Hermine de Boisjordan. Mauricienne, après la mort accidentelle de mon père; j'héritai une riche plantation. En Europe, la guerre faisait rage. Le 28 avril 1941, j'épousai Denis Dosmond ; un mois plus tard, mon mari s'embarqua pour l'Inde. Pendant la campagne de Birmanie il tomba entre les mains des Japonais. Après la victoire finale des Alliés je reçus, daté de quatre mois auparavant, un mot de Denis : il m'annonçait sa libération imminente et son prochain retour.
Pour célébrer l'armistice, je conviai quelques amis à une soirée dansante. Un homme entra chez moi qui n'était pas invité, c'était un compagnon de captivité de mon mari, un Réunionnais, Brice Hardy de Montaigu. II venait m'annoncer que Denis ne reviendrait pas.
Je revis Brice. Il arrivait vers moi à travers la tempête, seul à bord de son cotre, inexorable et secret comme le destin. II m'épousa. J'aimais Brice plus que ma vie ; il m'avait emportée sur les rives passionnées où peu de femmes abordent. Le combat que je livrais au coeur sauvage de la nuit ne menait à rien : ni à sauver mon amour ni à le condamner, pas même à vaincre le sort qui avait fait de moi la trop riche, l'innocente, Hermine de Boisjordan, par deux fois, l'épouse d'un assassin.

Source : Pocket