Le paysan perverti Tome I

Si Restif est trop méconnu, sa Vie de mon père ne l'est sans doute pas assez : cette hagiographie domestique n'a peut-être pas plus d'importance (ou du moins de vérité) que n'en avaient les Sainte-Famille brossées par les peintres païens de la Renaissance.
Méfiez-vous du premier mouvement, c'est le bon :
du tableau "beau comme l'antique ", nostalgique et prêcheur qu'il donnera trois ans plus tard, Restif livre déjà, dans Le paysan perverti, les transparences. Quelle haine inexpiable, quelle blessure jamais guérie justifient un tel massacre ? Le père est ici un solennel imbécile, la mère son ombre effrayée ; encore ne jouent-ils que les comparses. Un village (Sacy) impitoyable, une petite ville (Auxerre) digne du Corbeau, Paris enfin (Balzac, Hugo, Sue... sans Restif ?) : voilà dans quels décors évoluent des personnages que muent, pour la plupart, l'argent, le sexe et l'ambition. Les exceptions, Madame Parangon et le narrateur, Edmond dans une certaine mesure, sont les victimes désignées de ce roman des connaissances dangereuses, comme le dit Restif lui-même, sept ans avant Choderlos de Laclos.
Daniel Baruch

Source : 10-18